đ» Forgefer, -497 avant la Chute de l’Ćil Noir
La forge crachait ses derniers rĂąles d’Ă©tincelles. Dans lâombre de la salle commune, le silence tombait lentement comme la suie sur les barriques. Darkam, assis sur un trĂŽne de basalte noir, ses 11,5 tonnes penchĂ©es vers une chope vide, fixait le foyer qui rougeoyait Ă peine.
Il toussota. Un filet de vapeur verte sâĂ©chappa de sa narine gauche.
â « Câest fade. Encore une biĂšre sans Ăąme. »
Le nain Drolmir, maĂźtre-brasseur de Forgefer, secoua sa barbe roussie.
â « Câest pas la biĂšre, grand. Câest toi quâas trop dâgoĂ»t. Ton palais, câest comme ton bras droit : ça broie tout sans pitiĂ©. »
Darkam ne rĂ©pondit pas. Il regardait un petit gnome qui jouait avec une pipe en cuivre mal fermĂ©e. Le sifflement du foyer rappela soudain Ă Darkam le vent des cimes de MagerĂžya. Et ce goĂ»t, ce souvenir… Ce souffle.
Il se leva. Le plafond gémit.
â « Et siâŠÂ » commença-t-il, ses yeux rouges brillant plus fort, « âŠet si on laissait parler le feu dans la biĂšre ? »
Drolmir fronça les sourcils.
â « Tu veux flamber lâorge ? Tu vas lâcramer ! »
â « Non. Je vais lâĂ©veiller. »
Il approcha de lâalambic. Inspira longuement. Une pression monta dans sa gorge, ancienne, volcanique. Drolmir recula.
Et alors, Darkam souffla.
Un souffle doux dâabord, chargĂ© dâarĂŽmes invisibles, puis plus chaud, plus dense, jusquâĂ ce que les braises sâilluminent dâun bleu mystique. Les tuyaux dâair chantĂšrent, la vapeur prit une teinte ambrĂ©e.
â « Par la chope dâYmirâŠÂ », murmura Drolmir.
Quelques jours plus tard, la premiĂšre pinte jaillit du tonneau enchantĂ©. Une biĂšre noire, dense mais lĂ©gĂšre en bouche, avec une mousse souple qui claquait comme un fouet au palais. Et surtout… Ă chaque gorgĂ©e, une sensation Ă©trange, comme si une chaleur ancienne remontait de la gorge au cĆur.
â « Comment tâappelles ça, gĂ©ant ? » demanda Drolmir, les yeux humides.
Darkam sourit.
â « Quand elle entre en bouche, elle fait âSprotch!â… Alors ce sera son nom. »